On m'a récemment demandé pourquoi je prenais toujours en photo des futilités, des détails, des inepties, des tasses. Pourquoi je m'acharnais à prendre des photos inutiles, insipides, lassantes. Pourquoi perdre mon temps devant des objets, devant des lumières, devant des reflets que tout le monde pourrait prendre.
Alors après avoir répondu que je n'avais pas la prétention de prendre autre chose que des photo que tout le monde pourrait prendre, j'ai commencé à expliquer ma vision des choses. Ma révélation en lisant Virginia Woolf, mon amour pour Proust et Chateaubrilland dour la Madeleine tant que pour la grive de Montboisier. Woolf avait l'habitude de décrire les plus simples détails dans ses livres, de s'attarder sur des verres qui tintent, de commencer Mrs Dalloway par "Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself". Proust et Chateaubrilland de prendre le dérisoire parfum de la madeleine dans le thé ou le chant de la grive comme point de départ à des réminiscences violentes, à des regrets avortés, à des pleurs.
J'ai toujours pensé que l'essentiel des choses résidait dans le détail, que le superflux, le négligeable, c'était tout ce qu'il y avait autour. La beauté du monde vient de ce qu'on ne la décelle pas dans son absolu, qu'on l'élude parce qu'on a autre chose à faire, qu'on perd son temps à résoudre des problèmes que l'on s'invente primordiaux. La plus grande part de notre vie est conçue dans l'inutile, et par conséquent, l'essentiel de ce qu'on voit est perçu comme inutile parce que faisant parti d'un quotidien qu'on s'évertue à ignorer.
Mais au delà de ça, j'aime sentir les choses plus présentes à moi, les palper avec l'ensemble de mes sens, les toucher avec mes yeux. Ce que je veux dire par là, c'est que la photographie permet, grâce à l'objectif, de se saisir d'une image particulière, d'en choisir la représentation et donc de fait exige l'implication du photographe dans le réel qu'il regarde. Prendre une photo c'est se contraindre à divulguer une part infime de ses perceptions. Il y a une intensité que je ne pourrai pas dire dans ces moments là, où l'espace d'un instant le temps s'arrête et la réalité s'ingénie à devenir relative à nos visions, comme disloquée du présent, comme disloquée d'une réalité qu'on ne conçoit plus. Parfois, l'instant de la prise se prolonge encore et encore, parfois, on s'offre plus qu'un instant pour saisir un instant.
J'en parlai dernièrement avec Cyril, pretextant encore une fois Gide pour expliquer ma vision: "tout être est capable de nudité, toute émotion de plénitude". L'instant n'obtient sa valeur que quand il est inscrit dans un présent nu, que quand il est détaché de toute perspective. La valeur de l'instant vient de la futilité que l'on laisse transparaître à ne se concevoir soi, et le monde, que dans l'instant lui même. C'est probablement une vision absolument rationnaliste que de concevoir que la plénitude n'est atteinte que parce qu'elle ne doit pas être soumise à des incertitudes dévoilées dans un futur hypothétique, c'est une vision réductrice que je donne ici, mais elle a l'avantage d'offrir un soupçon de liberté dans ce qu'on ne la décide que soi et au moment où on le souhaite, dans ce qu'on ne se fonde que sur une acquisition complète, sur des données absolues. En somme, comprendre l'instant comme parfaite plénitude est un substitut de plénitude...mais c'est pour moi, et pour le moment, un ersatz qui me satisfait pleinement puisque accessible.
Par ailleurs, la photographie, de son propre fait, mais aussi parce qu'elle permet cette capture de l'instant est une alternative au souvenir puisqu'elle demeure fondée sur la réalité sans être pourtant elle même réalité car issue d'une vision subjective et non entière. Les photos que je prends sont un souvenir créé de toute pièce sur le dos du présent, ce sont mes perceptions de l'instant divulguées à tout un chacun. Voilà ce que je fais en ce moment, et ce que j'aime faire en ce moment.
J'ai toujours été trop prétencieux, mais je crois que je n'ai jamais dit que je faisais un vrai travail, que je considérais mes photos comme de la création et encore moins comme de l'art. J'aime juste ça, et puis on oublie les souvenirs, alors je m'en invente, et je les garde pour le moment. Je les garde par peur, par plaisir, par narcissisme. Je ne m'en veux pas. Pas encore.
NB: Merci à Mike pour le rétablissement de la version Originale de la première phrase de Mrs Dalloway!
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